09 août 2014

Pour aller un peu plus loin...

... et comprendre ce qui se passe

1.
"Israël avait intérêt à provoquer cette nouvelle épreuve de force"

ENTRETIEN VINCENT BRAUN Publié le samedi 19 juillet 2014 (LLB)
(Extraits)

Le Hamas menace Israël. Il veut surtout poursuivre son effort résistant, note D. Leroy.

Avec cette nouvelle épreuve guerrière, le Hamas espère alourdir son poids national au détriment de celui de l’Autorité palestinienne, et resensibiliser vis-à-vis de la cause palestinienne une opinion publique arabe et une communauté internationale éparpillées par les printemps arabes" , estime Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire et enseignant à l’ULB. Il est spécialiste du Moyen-Orient et des mouvements de résistance islamique, le Hezbollah libanais en particulier.

Pensez-vous que le Hamas puisse tenir tête longtemps à Israël ? En a-t-il les moyens et est-ce dans son intérêt ?

Le rapport de force entre le Hamas et Tsahal est notoirement très inégal et la poursuite des tirs en provenance de Gaza en a surpris plus d’un. Il n’est pas question de véritablement "tenir tête" depuis la perspective palestinienne, mais plutôt de montrer à l’adversaire sa résilience organisationnelle et sa détermination à poursuivre l’effort résistant. Ces deux dernières années, le Hamas s’est retrouvé de plus en plus isolé sur la scène diplomatique, surtout depuis son désaveu vis-à-vis de Bachar al Assad en Syrie et la chute de Mohammed Morsi en Egypte. Le mouvement a tant bien que mal préservé le soutien de l’Iran notamment, qui continue de lui fournir les moyens et la capacité logistique de maintenir la pression sur Israël. Il est très difficile d’établir un pronostic quant à la durée du bras de fer actuel, mais le refus du cessez-le-feu (égyptien, NdlR) par le Hamas semble suggérer que celui-ci espère en sortir renforcé au moins sur le plan politique vis-à-vis de l’Autorité palestinienne.

Le Hamas a décliné mercredi la proposition de trêve de l’Egypte, alors que sa branche armée l’avait déjà rejetée la veille. Est-ce le signe que, dans les tiraillements internes, la tendance radicale prend le dessus ?

Il me semble raisonnable de penser que la composante armée du Hamas a davantage de pouvoir décisionnel qu’il y a deux ans, dans la mesure où le leadership politique du Hamas a pris des positions vis-à-vis de la Syrie et de l’Egypte qui se sont rapidement retournées contre l’organisation. A l’échelle du fameux "axe de la résistance", il va de soi que la relation s’est radicalement refroidie avec le régime syrien et le Hezbollah… Et que l’approvisionnement en armes du Hamas par la République islamique d’Iran au nom de la lutte anti-israélienne ressort désormais comme plus vital que jamais pour la survie du mouvement dans son ensemble.

Connaissant la figure du martyre qu’il cultive, le Hamas met-il, à dessein, en danger les civils gazaouis en opérant aussi depuis des zones urbaines ? Cette tactique ne risque-t-elle pas de se retourner contre lui, sur la longueur, si les frappes de Tsahal font encore beaucoup de victimes civiles ?

La martyrologie, partiellement empruntée au Hezbollah libanais (chiite), fait désormais partie intégrante de la culture politique, militaire et religieuse prônée par le Hamas (sunnite). Celle-ci n’est toutefois pas automatiquement liée au fait de lancer des opérations militaires depuis des zones urbaines. Le caractère profondément asymétrique du conflit qui se déroule à Gaza, combiné aux petites dimensions géographiques du territoire considéré, imposent à la force combattante la plus faible d’avoir recours à ce mode opératoire.

Toute tentative palestinienne de mener une guerre "conventionnelle" représenterait une aubaine pour Tsahal qui anéantirait son ennemi militaire en quelques heures. Au-delà de cela, la population gazaouie est très certainement épuisée à l’extrême par ce cercle vicieux, mais les plaintes n’ont pas beaucoup l’occasion de s’exprimer dans le contexte d’un territoire sociétalement noyauté par le Hamas et géographiquement emmuré par l’Egypte et Israël.

On sait qu’Israël n’a pas digéré la réconciliation palestinienne, prélude à "la réunification" entre Gaza et la Cisjordanie qu’il redoute. N’avait-il pas tout à gagner à engager une nouvelle épreuve de force puisque, ce faisant, il fait voler en éclats la réunion palestinienne, en même temps qu’il épuise les effectifs humains et les arsenaux du Hamas ?

Le gouvernement de Benjamin Netanyahou avait un intérêt certain à provoquer cette nouvelle épreuve de force à Gaza. Si la réconciliation palestinienne a fait couler beaucoup d’encre, je reste personnellement convaincu que cette question n’a été qu’une raison parmi d’autres tout aussi importantes pour Israël. Sur le plan régional, n’oublions pas que le front nord (gardé par le Hezbollah) représente une menace bien plus importante du point de vue de la sécurité nationale israélienne, et que l’évolution des choses en Syrie reste source de nombreuses inquiétudes.

L’offensive actuelle permet d’amenuiser les stocks de roquettes du Hamas et de semer à nouveau la discorde entre les différents acteurs palestiniens. Elle permet également, et surtout, à l’armée israélienne de tester à nouveau - et donc d’améliorer - les performances de son bouclier antimissiles "Kipat Barzel" (dôme de fer) . C’est uniquement lorsque celui-ci aura fait preuve d’une efficacité optimale, que Tsahal pourra envisager, avec une confiance accrue, une nouvelle guerre ouverte avec les hommes de Hassan Nasrallah (le chef du Hezbollah, NdlR) .

http://www.lalibre.be/actu/international/israel-avait-interet-a-provoquer-cette-nouvelle-epreuve-de-force-53c9639e35702004f7d7179e

2.
"Viser Gaza à la racine"

Pour le politologue Sébastien Boussois, spécialiste d’Israël, le Hamas s’impose en maître du jeu.
Il vient de publier "Gaza. L’impasse historique" (Ed. du Cygne) où il met au jour les racines du problème.

• Quel message le Hamas veut-il faire passer en refusant de proroger le cessez-le-feu ?

J’ai toujours été persuadé que le Hamas sortirait vainqueur de ce conflit. Car le Hamas n’est pas délogé. Il a non seulement rempli son rôle premier de résistance, mais a aussi gagné un succès d’estime et d’image. Il donne l’impression aux Palestiniens, sinon qu’il peut être un leader charismatique, que quelqu’un les défend avec caractère et autorité, même si c’est dans le drame. Du coup, le Hamas apparaît comme le maître du jeu dans les négociations. L’Autorité palestinienne est affaiblie. Elle paie le prix de sa collaboration avec Israël sur la question de la sécurité. Les Palestiniens ne sont pas plus en sécurité. Au contraire, ils se retrouvent dans une des guerres les plus terribles qu’ils ont eue en trente ans, du moins à Gaza.

• Israël semble profiter de ce conflit pour focaliser l’attention sur le Hamas, terroriste, et ne plus parler des autres Palestiniens…

Oui. La bonne raison de ne pas négocier avec le Hamas, c’est de dire que les Palestiniens c’est le Hamas. Je pense qu’il y a deux volontés de la part d’Israël. Je pense que (le Premier ministre) Netanyahou procède au parachèvement du "politicide" de l’Autorité palestinienne. Le terme fait référence à la volonté délibérée, au moment du siège de la moukata (le siège de la présidence palestinienne, dès 2001, NdlR) de ne plus faire de l’Autorité palestinienne, ou des autorités privilégiées, de véritables interlocuteurs.

Il y a aussi une volonté de "jeunocide", visant la jeunesse de Gaza. La mort de plus de 400 enfants ne répond peut-être pas à une volonté délibérée, cela fait partie des dommages collatéraux de la guerre. Mais je pense qu’il y a une volonté terrifiante, en visant les écoles, les hôpitaux - et pas seulement parce que le Hamas y cache ce qu’il veut -, de couper à la racine toute possibilité à cette société de perdurer. Je crois qu’il y a une volonté de préempter l’avenir de cette population en agissant à la racine. Une volonté d’en finir avec une population de résistants, qui l’était déjà face aux tribus d’Israël il y a plus de trois mille ans. Quoi qu’il en soit, Israël a créé des milliers d’enfants du malheur. Un jour, il en payera le prix humain parce qu’un enfant n’oublie jamais.

• Pourquoi les Gazaouis sont-ils historiquement des résistants ?

Par sa situation géographique. (...) Gaza est à la croisée des voies commerciales et elle a un accès relativement privilégié à la Méditerranée et vers la péninsule Arabique. Donc elle a toujours attiré la convoitise et sa population s’est inscrite en permanence dans un processus de résistance à l’envahisseur, à l’ennemi. Du coup, on comprend mieux l’intérêt et les débats visant à en faire une zone internationale ou démilitarisée.

J’ai l’impression qu’il y a une volonté d’en finir humainement avec Gaza. Je pense que le gouvernement israélien n’a jamais digéré le retrait (ordonné) par Ariel Sharon en 2005. Ces 8 000 colons nourrissent une haine farouche, politiquement parlant. Pour eux, ce morceau de territoire doit à nouveau faire partie des rêves israéliens.

Entretien Vincent Braun, LLB (extraits)

http://www.lalibre.be/actu/international/viser-gaza-a-la-racine-53e4fd693570667a63919ad2


3.
A l’origine du conflit, l’extrême droite israélienne

Une opinion de Manuel Abramowicz, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB) et rédacteur en chef du journal en ligne RésistanceS. be
(extraits)

Dans l’ombre de la droite nationaliste sioniste, des groupes radicaux s’activent de plus en plus. Ils s’attaquent aux militants juifs qui manifestent contre les actuels bombardements de Gaza.

En Israël, à chaque raid meurtrier contre les Palestiniens, le mouvement antiguerre, essentiellement composé de militants de la gauche radicale, s’est systématiquement mobilisé. La société civile et politique de ce pays reste extrêmement divisée entre "faucons" et "colombes". Les premiers représentent les partisans de la guerre totale contre les Palestiniens; les seconds revendiquent des accords de paix en vue de la création d’un véritable Etat palestinien, libre et indépendant.

La fracture entre les deux camps est de plus en plus marquée et s’exprime souvent par des violences. En Israël ainsi qu’au sein d’organisations ultrasionistes diasporiques (comme par exemple la Ligue de défense juive en France), la radicalisation de l’extrême droite s’observe de manière inquiétante.
Le phénomène s’est encore cruellement manifesté par le supplice du jeune Palestinien Mohammed Abou Kheider (16 ans). Par vengeance suite aux révélations (tardives) faites sur l’assassinat de trois adolescents juifs qui avaient été enlevés par des Palestiniens, il a été enlevé et brûlé vif par six extrémistes israéliens. Un crime monstrueux qui a choqué tant l’opinion palestinienne qu’israélienne.
Jeunes colons, les meurtriers de Mohammed Abou Kheider, selon plusieurs médias, sont proches de la "Familia", "un groupe de supporteurs du Betar Jérusalem, l’équipe de football, connus pour leurs débordements racistes anti-Arabes. Tous évolueraient également dans une mouvance religieuse d’extrême droite", a précisé le 7 juillet dernier le quotidien français "Le Figaro".

Au sein même du pouvoir politique, la droite nationaliste radicale est bien ancrée. Depuis 2001, des dirigeants de celle-ci bénéficient de postes de ministres importants dans le gouvernement national. L’un de ses représentants les plus illustratifs, Avigdor Lieberman, est non seulement le leader du parti Israel Beitenou ("Israël notre maison"), mais aussi le ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre du gouvernement conduit par Benyamin Netanyahou. Lors du scrutin de 2012, le parti de Lieberman s’est présenté en cartel avec le Likoud. Les deux formations capteront ensemble plus de 23 % des électeurs israéliens.
Depuis, la tendance d’ultradroite présente également dans le Likoud a gangrené un poids en interne encore plus important.

Dans son programme électoral, le Likoud veut aussi le "renforcement [de] la construction en Judée-Samarie et [la] préservation des intérêts vitaux d’Israël face aux pressions internationales". La Judée-Samarie est le terme biblique utilisé par les nationalistes juifs - favorables à la colonisation - pour désigner l’ensemble de la Cisjordanie, le territoire palestinien reconnu par les institutions internationales. Comme l’extrême droite, le parti libéral revendique clairement son annexion, via sa colonisation, suivant en cela à la lettre le projet historique du "Grand Israël". Un projet voulu ouvertement par la droite nationaliste, dont les racines se trouvent dans le "sionisme révisionniste" porté, dès le début des années 1920, par son leader, le fasciste juif Vladimir Jabotinsky (1880-1940). Ce dernier avait été traité de "Vladimir Hitler" par David Ben Gourion en personne, le futur fondateur de l’Etat d’Israël et chef de son premier gouvernement.

Force est d’observer qu’en Israël, l’extrême droite n’est pas un phénomène marginal. Elle participe activement au pouvoir. Elle est même dans le pouvoir en détenant des postes clés du gouvernement national depuis près de quinze ans. Cette droite agressive est favorable à la colonisation des territoires palestiniens, à l’expulsion de ses habitants historiques et à la guerre totale contre Gaza. Elle exerce une influence considérable sur la stratégie belliqueuse du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Elle est à l’origine du conflit permanent israélo-palestinien.

http://www.lalibre.be/actu/international/israel-avait-interet-a-provoquer-cette-nouvelle-epreuve-de-force-53c9639e35702004f7d7179e

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